Lire les sondages: l'échantillon
On ne peut pas parler toujours d'argent, n'est-ce pas ? Il y a aussi les idées. La manière dont on les manipule, interprète, fabrique. Au cœur du sujet, on trouve bien entendu, surtout en période électorale, les sondages. Certaines idées reçues courent concernant les sondages : c'est bidon, ça ne marche pas, ils n'en savent rien, etc... Y adhérer est un bon début, mais insuffisant, l'affaire demande d'être étayée par des arguments. C'est ce que nous allons commencer ici. En effet, les sondages, c'est un peu comme la cigarette. Tout le monde en dit du mal, mais lorsqu'on y a goûté il est très difficile de ne pas y revenir. Qui en effet peut s'empêcher, à l'annonce d'un sondage électoral, d'y croire un peu au fond de soi ? De ressentir le sentiment qu'il provoquerait s'il était vrai, espoir ou déception ? De réagir à ces annonces comme à des prévisions météo, c'est-à-dire raisonnablement fiables ? Rappelons ici ce que tout le monde sait : la météo à plusieurs jours annonce son indice de confiance. Jamais un sondage n'est diffusé sur les médias avec son taux d'imprécision.
Un petit exemple : le sondage LH2-Yahoo ! Mis en ligne cette nuit. Cela fonctionnerait avec n'importe quel autre, je n'ai aucune animosité particulière envers ses commanditaires ou diffuseurs.
Commençons par le plus simple, le pronostic de second tour. C'est aussi ce que tout le monde retiendra, du fait de l'importance de l'enjeu et de la simplicité de l'information. On peut même dire qu'à part les gens impliqués dans la campagne, bien rares sont les électeurs qui retiendront autre chose. Et encore, dans la marée de sondages qui noient les périodes pré-électorales, on peut raisonnablement imaginer que le plus souvent seul le titre laissera une quelconque trace mémorielle. Quelque chose comme « Untel a une bonne avance ». Ce qui est tout à fait insuffisant, lourdement biaisé, et à ce titre quelque peu dangereux pour le fonctionnement de la démocratie.
Voyons donc le contenu de l'annonce :
Second tour Hollande-Sarkozy : Hollande 57%, Sarkozy 43%. On en retire l'impression de savoir que 57% des électeurs ont l'intention de voter Hollande au second tour. Premier biais, il s'agit des personnes qui ont répondu au sondage. On s'en doute ! Mais se doute-t-on du nombre de personnes qui n'ont pas voulu répondre ? Entre 3 sur 4 et 19 sur 20, selon les sondages. Evidemment aucun lien ne permet d'obtenir ce renseignement pour celui-ci. Aucun lien tout court n'est d'ailleurs proposé vers la source. Ce n'est pas toujours le cas, mais lorsqu'il s'en trouve un, ce lien conduit vers la plaquette publiée par le sondeur, qui ne mentionne pas cet aspect des choses. Or il faut entre 4 et 20 contacts pour obtenir une réponse ! Quel statisticien pourrait soutenir un instant que tous ces silencieux sont distribués au hasard dans la société ? Des gens qui refusent de répondre même « ne sait pas » ! Avec quelle force faut-il se sentir exclu du jeu pour en arriver là ! Gageons que dans ce groupe, les jeunes adultes urbains diplômés sont quelque peu sous-représentés. Et même les personnes tout simplement bien insérées dans le tissu social, ayant emploi stable, logement correct, accès normal à l'éducation et à l'information, répondent. On peut accepter un certain taux de « je n'ai pas le temps », mais pas les trois quarts, encore moins les 95% que représentent 19 non-réponses sur 20. D'autant moins que les employés du sondeur sont incités à pousser pour obtenir une réponse valable, car les appels inutiles coûtent cher. En effet, les sondages sont effectués trop souvent par téléphone, quand ce n'est pas par Internet. Ce qui réduit encore l'échantillon des sondés.
Bien entendu, les sondeurs ont perçu le problème. Et voici la solution scientifique qu'ils y ont apportée : Si dans une catégorie (au hasard, « ouvrier ») on a trop de refus de répondre, on consulte son grimoire pour connaître le pourcentage d'ouvriers dans la population. Ensuite, on gonfle les réponses des ouvriers jusqu'à ce qu'elles aient le poids requis pour représenter le pourcentage en question. Car, bien entendu, l'ouvrier qui raccroche aurait répondu la même chose que celui qui donne son avis. S'il ne répond pas, c'est qu'il a un sale caractère.
En parlant de non-réponse, le second coup d'oeil sur les résultats de notre sondage-exemple est à cet égard instructif. On y trouve un joli camembert rose et bleu orné des photos des impétrants (de ces images aussi, il faudra reparler) et représentant un partage 57-43. Juste dessous, une mention vient contredire cette belle simplicité :
22% des sondés n'ont pas exprimé d'intention de vote ! Autrement dit les 100% de réponses que se partagent les candidats pourraient très facilement se réduire à 78% des 25% qui ont répondu, soit 19,5% pour les deux.
Partageons ces 19,5% selon le résultat obtenu, nous obtenons respectivement presque 8,4% pour Nicolas Sarkozy, et moins de 11,2% pour François Hollande.
Notre camembert a tout de suite une autre allure.
De même la situation politique prend un autre visage, ne trouvez-vous pas ?
L'hypothèse évidente qui consistait à ne proposer que Hollande et Sarkozy pour le second tour faiblit quelque peu...
Entre nous, cela me rappelle quelque chose:
Bon dimanche sous la neige,
et à bientôt pour d'autres réflexions désagréables.