La Norme et les Pauvres

Publié le par cassetoi-vlp

 

La grande nouvelle du moment, c'est que la zone Euro dans son ensemble « voit sa note dégradée » par Standard & Poor's qui place les obligations souveraines de toute la zone Euro sous surveillance négative. Les pays qui conservaient encore le AAA voient celui-ci remis en cause pour un proche avenir.

Entendant cela, que fais-je  ? Je recherche l'annonce de la nouvelle, et je la passe dans une moulinette à traduire. Et là se produit l'un de ces petits événements qui ont parfois le don de vous laisser songeur.

La note d'origine commence ainsi: « FRANKFURT (Standard & Poor's) », ce qui traduit en bon Français par une machine pas si bête donne : « FRANCFORT (La Norme et les Pauvres) ».

 

J'avoue que sur l'instant je me suis demandé quel virus subversif s'était introduit dans le système. Comment annoncer plus clairement l'affiche du combat qui s'engage ? Quand je pense que les Américains voient S&P sous ce nom depuis le début... L'affrontement de dogmes sans justification contre des populations paupérisées. Ce pourrait réellement être le titre d'un film racontant la crise.

 

Mais passons. Le symbolique a son importance, mais l'essentiel est dans le contenu du message. Quoique celui-ci soit aussi notablement symbolique, puisqu'il ne s'agit d'aucune perte réelle de richesses intellectuelles ou matérielles. C'est simplement la projection dans le futur, d'un niveau de confiance subjectif, l'évolution probable d'une image mentale. Et comment évolue-t-elle, cette image ?

Si vous lisez le Globish, vous la trouverez ici. Dans le cas contraire, ou si l'idée de vous appuyer toute cette salade vous casse les pieds, en voici de petits extraits, traduits comme d'habitude avec l'assistance de la machine.

D'abord, le gros morceau, en une phrase: le businessman n'a pas de temps à perdre.

 

Les Services d'Estimation de Standard & Poor's ont aujourd'hui placé les obligations souveraines à long terme de 15 membres de l'eurozone sous surveillance avec implications négatives.

 

Les caractères sont tels quels. Je vous concède que ça n'est pas vraiment de la communication High-Tech Deluxe, mais c'est comme ça. Pourquoi ? Qui pourra le dire ? Peut-être un petit côté austère pour faire dépêche d'agence ? En tout cas vous n'aurez pas besoin de guillemets pour reconnaître les extraits, je m'en dispenserai donc. Voyons la suite:

 

Les placements sous surveillance d'aujourd'hui sont provoqués par notre conviction que les tensions systémiques dans l'eurozone sont montées dans les semaines dernières au point où elles entraînent maintenant vers le bas la réputation de crédit de l'eurozone dans son ensemble.

 

C'est quasi du mot à mot, les amateurs retrouveront les anglicismes. Après tout, moi aussi je peux bien m'offrir un petit air austère-officiel. Notons tout de même l'expression tensions systémiques. D'après F. Lordon, la crise systémique est à peu près l'équivalent économique d'Hiroshima. Il est bon que ces gens si intelligents, formés et informés la voient venir. Les économistes dignes de ce nom en avaient averti le pékin curieux voici plus d'une année.

 

Nous projetons de conclure notre révision d'estimations souveraines de l'eurozone aussitôt que possible après le sommet de l'UE programmé pour le 8 et 9 décembre 2011.

 

Et ça n'est pas fini! D'ici le prochain week-end, retrouvez-nous pour un nouvel épisode des aventures de nos héros, intitulé « Le monde des non-A » (Que les rares amateurs de vieille SF qui comprennent me contactent, on a sûrement des choses à se dire.)

 

Nos estimations sur la Grèce ne sont pas affectées par les actions d'aujourd'hui, et sa notation CC selon nos définitions d'estimation implique notre conviction qu'il existe des chances relativement élevées de défaut à court terme.

 

Là c'est l'avantage d'être tombés les premiers. Quoi qu'il arrive aux autres maintenant, on dirait que pour les Grecs la situation ne peut plus guère empirer. Comment se consoler lorsqu'on touche le fond...

Le document se poursuit avec la liste des notes, avec, pour chaque état l'actuelle et la précédente ce qui donne une tendance. C'est facile à comprendre, même en Anglais, je vous laisse aller y voir.

 

Bon, sans rire, maintenant, pour qui se prennent ces gens ? Ou, plus grave, pour qui les prend-on ? On a beau suivre une actualité galopante, cela n'empêche pas de prendre un minimum de recul. Se rend-on compte que trois entreprises privées sont en train de prendre de haut tous les états souverains de la planète ? Qu'au lieu de rire tous ensemble de ces présomptueux, nous nous partageons entre révolte et soumission, comme si elles exerçaient un réel pouvoir ?

 

Le bourrage de crâne ambiant est efficace: même la proximité d'une catastrophe continentale ne parvient pas à faire prendre aux sociétés une décision divergente, rapide et radicale. Je vais paraphraser Staline, c'est vous dire si l'heure est grave. « Standard & Poor's ? Combien de divisions ? ». Il parlait du Pape, qui désapprouvait sa conduite. Il s'en foutait complètement. On peut le faire. On doit le faire.

Publié dans Dette

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