Nous, on peut !

Publié le par cassetoi-vlp

Nous on peut !

Ce titre d'un excellent livre de J. Généreux est devenu un slogan de la gauche qui sait ce qu'elle veut. Un peu comme le « Qu'ils s'en aillent tous ! » de J.-L. Mélenchon. Et puis un slogan, même bon, par moments, c'est moins bien adapté au contexte. Certains prennent un peu la poussière sur l'étagère. Prêts à servir, sous la main, mais pour l'instant peu utilisés. Et un jour, on les ressort avec délices, ajoutant au bonheur de la langue le plaisir de se remémorer les bons moments.

Vous l'avez peut-être pressenti, ce billet sera heureux, une fois n'est pas coutume. Ordinairement, je fais plutôt dans le genre combatif, dans la dénonciation. Mais ce jour est un jour d'allégresse. Il faut dire qu'il succède à une période noire qui par contraste le met bien en valeur.

Automne

Tout avait plutôt bien commencé, pourtant. Nous avions initié (nous, c'est nous tous, les militants de la gauche qui sait ce qu'elle veut) des Assemblées Citoyennes, les premières dès le mois de mai dernier. Petite pause l'été, nous vivons dans un zoo à touristes (merci la gestion libérale). En septembre ça repart, et ça prend. Les gens viennent, débattent proposent s'organisent. Le noyau militant, bien sur, mais aussi des citoyens, des déboussolés, des interloqués, pour écouter, pour dire, pour faire. Nous changions de quartier populaire à chaque fois, et de nouvelles personnes venaient. Chacun pouvait constater que les problèmes soulevés par tous allaient dans la même direction. Forcément, les solutions à apporter convergeaient aussi. On se sentait nombreux, donc plus forts. On se tenait chaud. Pour moi, je découvrais, et cela me soulevait de terre. Je voyais les camarades plus expérimentés conserver plus de distance, et je trouvais cela bon. Que ceux qui savent le faire protègent ce mouvement précieux. Qu'ils veillent sur lui, qu'ils soient attentifs à écarter ce qui pourrait le faire capoter.

Le temps passant, les appareils commencèrent à montrer le bout de leur nez. On entendit des arguments auxquels je ne sus d'abord rester froid.

« Les partis vont engager leurs finances, leur image, leur crédibilité, il est normal qu'ils conservent un certain contrôle.

Nous nous battons pour atteindre des objectifs politiques, nous devons nous assurer que nos combats ne seront pas détournés de leurs buts.

Nous sommes là pour remobiliser les citoyens, pour les entraîner vers l'action politique, et le moyen de cette action ce sont les partis. »

On en entendit bien d'autres de la même eau, mais le thème général était clair. Et moi, récent mais enthousiaste militant du Parti de Gauche, je trouvais que tout cela n'était pas faux. Je constatais que tout le travail de préparation, d'organisation, était le fait des militants. Les citoyens investissaient un peu les ateliers programmatiques, mais les mains, dans le cambouis, étaient des mains de militants. Nous avions de longue date réfléchi à toutes ces questions, leur avions donné une cohérence dans le programme « l'humain d'abord », nous avions quelque légitimité à impulser une orientation. D'autant que nous étions purs. Aucune arrière-pensée de profit personnel là-dedans. Juste des convictions solidement construites.

Hiver

À ce moment, la question de la liste vient sur le tapis. Il est bien trop tôt pour cela, ce qui devrait me mettre la puce à l'oreille. D'aucuns demandent ce que j'appelle aujourd'hui un retour sur investissement. (J'emploie à dessein ce vocabulaire marchand.) Des places pour leur organisation. Je suis débutant, on m'explique la politique. La nouveauté de la chose m'amuse même, un peu. Quelque chose comme la sensation d'être un spectateur enfin admis à voir les répétitions et la mise en scène, à entrer en coulisse.

Il faut dire qu'entre temps je suis devenu secrétaire du comité du parti, donc un responsable local. Élu faute de candidats, pour rendre service. Là, je sais qu'il y a un loup, mais j'y vais tout de même. Il y a dans le Bureau quelqu'un avec qui personne ne veut travailler, mais je suis plutôt bon garçon et me dis que je pourrai trouver l'accommodement. Bref, je rentre dans le jeu.

Et je vois se désengager peu à peu ceux que je considérais comme les meilleurs.

Les gens dont la vision de long terme, la clarté de raisonnement, la droiture sans faille, faisaient mon admiration. J'ai l'occasion d'avoir une longue discussion avec l'un d'eux. S'il lit ceci, il se reconnaîtra, pas besoin de vous dire son nom. Il me montre combien l'assistance se réduit au noyau des organisateurs. Les citoyens se désintéressent de ce qui prend de plus en plus de place dans les débats : les arrangements entre partis. Les réunions de préparation deviennent des négociations. La voie que nous défrichions glisse vers la vieille ornière. « Faire de la politique autrement. », voila ce que j'oubliais. À trop écouter les vieux militants, je devenais moi aussi un Sysiphe. Pousser éternellement le même rocher vers le sommet, par la même voie. Sachant que le sommet ne serait jamais atteint de cette manière, mais poussant. Certains aiment pousser.

Crise

Il devient évident que notre comité doit redéfinir ses priorités. Dire clairement ses buts fondamentaux, d'où découle l'action. Lorsqu'on ne sait pas où l'on va, on n'a aucune chance de trouver la route. Les conversations hors réunions bruissent de cet impératif. Et il ne fait pas l’unanimité, ce n'est rien de le dire.

Une petite fraction (toute petite, en vérité) se bat bec et ongles pour nous faire adopter une alliance contre-nature. Sentant le cartel des Assemblées en danger, il s'agit d'en construire un autre. Rien d'étonnant en politique. Et comment refuser de simplement discuter avec des gens qui vous tendent la main ? Il ne s'agit pas a priori d'affreux réactionnaires ou de libéraux aux grandes dents décomplexées. Plutôt la tendance les fleurs et les oiseaux. Nous aussi portons la défense de l'écosystème, comme volet essentiel de l’intérêt général. Nous passons donc trois longues réunions à pointer un par un les points du Programme établi par l'Assemblée. Le calendrier avance. Chaque point est accepté quasiment sans réticence. Cela aussi aurait dû me sembler suspect. Les promesses coûtent peu, si elles permettent d'obtenir ce qui vous fait défaut : un drapeau propre à brandir, et d'une jolie couleur bien populaire, reconnue pour attirer l'abstentionniste. Mais en toute fin de discussion, le rideau s'écarte, le piège apparaît. Notre intention n'est évidemment pas d'abandonner notre position d'opposants entre les deux tours. La leur, si.

Or ce n'est pas un point accessoire. S'il s'agit de faire comme les autres, promettre le grand soir et offrir une gueule de bois matinale, à quoi bon fonder un nouveau parti ? Si les égarés du vote de gauche doivent penser que cet espoir-là n'en était pas un, que leur reste-t-il ? Ce qu'ils font actuellement de plus en plus nombreux : voter facho ou se retirer du jeu, aigris et trahis. Ce phénomène de démission en arrange certains, pour qui leurs voix étaient de toute manière perdues. Mais c'est justement contre cela que nous luttons. Nous sommes des démocrates, mieux des républicains. Cela suppose que le plus grand nombre s'exprime, pas de laisser sans voix une fraction croissante de la population, qui perd le respect des choix collectifs, n'y ayant eu aucune part.

À ce stade, j'entends à l'intérieur du parti (toujours la toute petite fraction) des choses que je ne pensais jamais entendre. Cela commence par les accusations de vouloir nous transformer en groupuscule impuissant mais jouissant de sa pureté idéologique. Suit le couplet sur les petites victoires quotidiennes, les avancées pas à pas, qui améliorent la vie des gens, etc... S'opposer à 3 ou 4 dans une assemblée de 49 conseillers, ces 3 ou 4 n'étant même pas réellement d'accord sur les priorités ! Élus sur la liste majoritaire !

Le soir où la décision est fermement votée de ne pas nous jeter dans ce piège, c'est la déclaration de guerre. La toute petite fraction, alors réduite à un individu, promet fer et feu. Et tient sa promesse. Sur les réseaux pullulent des appels, accusations, déformations et saloperies en tous genres. Les listes d'adresses du Comité et de l'Assemblée sont volées puis détournées. Les destinataires sont inondés de calomnies à notre égard. Je passe le reste, un vieux politicard disposant de tout son temps et prêt à tout dispose localement d'un pouvoir de nuisance considérable. Nous sommes un peu groggy. Les Assemblées n'ont pas pu se tenir durant un mois, du fait de la discorde obtenue. Nous commençons à devoir envisager de ne pas participer du tout à l'élection.

Printemps

Malgré tout, par en-dessous, le travail se poursuit, les bourgeons se forment. Nous ne les voyons pas encore, mais ils sont là.

Il y avait dans l'assemblée un fort groupe de communistes. De vraies têtes dures. Ils sont confrontés à une direction... Hum. Les gros mots sont interdits, ici. Disons caricaturale. Le truc à rendre Lénine anticommuniste. Staline, non, mais Lénine, je crois. Eux ont décidé de partir, quoi qu'il advienne, et de partir sous la bannière Front de Gauche. Formellement c'est un peu exagéré, puisque leur liste ne comprend ni le PG ni la fédération du PCF. Mais l'esprit y est, même si eux non plus ne se prononcent pas sur le second tour. Si quelqu'un porte haut l'Humain d'abord, dans cette élection, c'est eux.

La stratégie nous divise, mais nous proposons tout de même une rencontre. Le but annoncé est de s'assurer que vraiment nous ne pouvons concilier nos positions. Au fond de nous, nous n'osons espérer plus qu'une séparation en bons termes, préservant les chances d'un futur travail commun. Quelque chose comme « bonne route, nous promettons de ne pas vous tirer dans les pattes, et à bientôt ». Petite perspective pour soulever l'enthousiasme, mais nous y allons à trois.

La discussion commence comme se lève un convalescent. Les prudences s'atténuent lentement, les tentatives s'affirment peu à peu. On n'ose pas trop poser brutalement les questions qui fâchent : nous n'avons vraiment pas envie de nous fâcher, ni eux ni nous. Face à moi, un vieux dur à cuire écoute depuis le début, le nez sur son bloc ou le visage dans les mains. Mais il écoute, intensément. Et lorsque LA question est là, que nous tournons tous autour sans oser y poser le doigt, lui l'enfonce d'un coup de botte. Il relève le visage, et de sa voix grave, rauque, coupe le sifflet à tout le monde : « Une chose est sûre, on n'ira jamais à la gamelle du PS. »

De le raconter, les poils se dressent. Car tout le monde l'a compris, cette seule phrase dite en deux secondes a tout résolu. Le reste est du détail. Tout ce qui occupe des mois de négociations chez les politicards n'a ici aucune importance. Ils impriment sur-le-champ et signent un engagement exactement conforme à notre mandat. Ils sont prêts à nous laisser toutes les places que nous ne demandons pas. Et pour le financement, on s'arrangera toujours. Et tout le reste à l'avenant. Une seule chose est importante : on va y aller, tous ensemble, et qu'est-ce qu'on va leur mettre, nom de nom !

Le galet d'un quintal qui me pesait sur l'estomac disparaît dans l'instant. La vraie souffrance ne tient pas à la victoire ou à la défaite. Ce qui fait le plus mal c'est d'être séparé de ses camarades par toutes ces saloperies. C'est là que je comprends l'orgueil fou – et nécessaire – des premiers qui ont décidé de tenter le Front de Gauche. Les poids énormes qu'il faut déplacer, et les espoirs immenses qui se cachent dessous.

Épilogue

Il peut sembler étrange de raconter la campagne alors qu'elle va seulement commencer. Mais quoi qu'il puisse se passer en termes de résultats, ce soir-là nous avons posé la clé de voûte du Front de Gauche dans notre ville. Et c'est autre chose qu'un poste de conseiller municipal en plus ou en moins.

Publié dans Front de Gauche

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D
Bravo c'est un beau combat. Chez moi, dans ma ville, c'est le grand vide mais je suis certaine qu'il y a des possibilités de rassembler ceux qui ne veulent plus de cette politique. Alors ce que tu racontes me donne confiance, car le peuple rassemblé, vivant, actif c'est la solution et l'avenir. En même temps ces discussions difficiles, ardues, constructives pour éviter les ruptures c'est formidable. Alors oui je suis d'accord avec toi, en aucun cas il ne faut aller à la gamelle du PS
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B
Nom de nom, çà c'est une belle réunion ! Les vieilles barrières volent en éclats, quand le peuple s'avance rien ne résiste. Quelle différence avec une ville où je suis allé récemment, où les militants de cœur ne sont pas conviés, où c'est un jeu entre les Camorras locale qui règle tout, au sens vrai du terme hélas. <br /> <br /> Bravo.
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