Bayrou se rallie au Front de Gauche
Ça vous en calfeutre une fissure ? Je vous rassure, à moi aussi. Mais il faut se rendre à l'évidence, les extraits de son discours de meeting à Dunkerque, sur le fil Tweeter de France Télévisions Francetv2012 ne laissent aucune place au doute. Place aux citations :
« Moralement je n'ai jamais enlevé mon béret béarnais devant les puissants. Je l'enlève devant le courage et l'esprit des humbles. »
L'expression « le bérêt à la main » est une des favorites de Mélenchon. Il l'emploie pour stigmatiser l'attitude soumise et collaboratrice de certains devant les injonctions des dominants de toutes espèces. On peut l'entendre entre autres dans l'émission Des paroles et des actes du 12 janvier dernier, je crois me souvenir qu'il l'a aussi utilisée à Nantes, et en cherchant un peu on la retrouverait à plusieurs autres occasions. C'est en quelque sorte une marque de fabrique de la gauche déterminée.
Quant à rendre hommage au courage et à l'esprit des humbles, jamais jusque-là il ne s'était laissé aller à un tel contre-emploi. C'est du pur Méluche, hormis le remplacement d'« intelligence » par « esprit », mieux adapté à un public de familles chrétiennes.
Dans la même veine, nous avons « Les Flamands sont des têtes dures. Et dieu sait qu'on va avoir besoin de têtes dures dans les années qui viennent. » Les têtes dures sont aussi une expression typique des meetings du Front de Gauche, appellation affectueuse (du moins je la prends comme telle) destinée aux militants. Personne n'en est, bien sûr, propriétaire, mais personne non plus ne sera dupe, c'est bien trop différent du parler policé et modéré habituel à François Bayrou. Et le pronostic concernant le besoin, sous une forme ou une autre, suit généralement. Seule différence, ici aussi, le « dieu merci » rarement entendu dans la bouche de Jean-Luc Mélenchon. L'électorat un peu catho à l'ancienne doit se sentir interpellé.
Mais ce n'est pas fini : « Nous allons à nouveau faire rimer France avec résistance, et ce verbe résister nous le conjuguons en face de toutes les fatalités. »La campagne du Front de Gauche se décline autour de deux mots d'ordre, qui sont : « Résistez !» et « Prenez le pouvoir ! » Je ne parle pas de cinquante slogans, d'un fourre-tout dans lequel on finirait toujours par retomber. Il n'y en a que deux, ils sont partout sur les sites de la campagne, et l'un des deux se retrouve ici. Encore une fois comme un cheveu sur la soupe dans le discours habituel de ce candidat, pour qui le verbe résister n'est pas précisément un leitmotiv.
Une autre fleur de ce bouquet : Quelqu'un l'a semble-t-il taxé de populisme. Il répond : « J'ai employé le mot peuple. C'est un mot qui paraît-il n'est pas à la mode. Qu'on fasse du mot de peuple un qualificatif qui est une injure, c'est révélateur de la manière dont les élites regardent le peuple. » Là, on croit rêver. On vérifie l'adresse de la page consultée. On cherche les guillemets. Si ce n'est pas du mot à mot, c'est pour le moins un hommage appuyé. Un militant du Front de Gauche parlant de cette manière s'entendrait traiter de perroquet.
La suite est plus une reprise des thèmes que des expressions elles-mêmes. Nous avons : « En ces temps, le calcul mental est une vertu civique. » qui évoque toutes les interpellations sur la dette et la crise, dans lesquelles Jean-Luc Mélenchon a coutume de rappeler que nous aussi nous savons compter, nous sommes allés à l'école.
« Mon père avait un fort accent. On lui parlait comme à un bouseux. J'étais un enfant mais je ne l'ai pas oublié. » Les deux premières phrases sont personnalisées, c'est bien le moins, on voit mal Bayrou évoquer un passé d'enfant déraciné du Maroc : ce n'est pas le sien. Mais la conclusion évoque très fort JLM racontant son arrivée en France qui a, dit-il, construit son caractère rebelle.
« Quand on organise des débats de commentateurs, on prend un PS et un UMP, et 50% des Français se trouvent majestueusement ignorés. » Ici, soyons de bonne foi, il s'agit d'une situation partagée entre les deux candidats.
À partir de là, François Bayrou diverge, et je vous épargnerai donc la suite. Il me semble que ce qui précède est suffisant pour s'interroger.
Populiste, Bayrou ? Du peuple, flatterait-il les bas instincts, puisque c'est le sens que le dictionnaire donne à ce mot ? Faudrait-il déjà admettre que le peuple a de bas instincts.
Mais démagogue, sûrement. Prêt à adopter n'importe quel discours pourvu qu'il soit réputé efficace électoralement. Et bien renseigné, il a lu que pour les Français c'est de loin la campagne de Mélenchon qui est la meilleure, d'après un sondage que je ne retrouve plus (je vous le donne dès que je mets la main dessus) . Alors, il copie. Mais à ce point-là, cela se voit.
Du point de vue du plagié, peut-on se dire que c'est bon signe ou pas ? C'est l'éternelle question. Si les électeurs s'y laissent prendre, oublient son intention de pousser l'austérité encore plus loin que l'UMP, bref si la récupération fonctionne, ce peut être un sale coup porté à la démocratie. Une déception de plus, un pas de plus vers la dérive fascistoïde par dégoût.
La bonne réponse à ce positionnement marketing sera le vaste éclat de rire qui suivra sa mise en lumière. Comptons sur l'électorat de France pour cette ironie : il sait faire.
Post-scriptum : Il n'y a vraiment plus que la direction du PS qui n'a rien compris, qui ne sait pas que le peuple veut la gauche, maintenant.