Ceci n'est pas une crise.

Publié le par cassetoi-vlp

 

Je vous le lis à voix haute, ici.(Ctrl-Clic)

 

Ceci n'est pas une crise. C'est la représentation d'une crise. Ceci n'est pas une pipeTout comme dans le tableau de Magritte, il est important de différencier l'objet de l'image que l'on en donne.

La « crise » par laquelle tout aurait commencé, en 2008, a été attribuée aux « subprimes ». Qui seraient comme une sorte d'accident.

Accident ? Voyons cela de plus près. Je lis dans le dictionnaire : « événement inattendu qui survient par hasard ».

Crise : Trouble dans le fonctionnement normal de l'activité économique

Alors, inattendu, je veux bien. Mais n'importe qui pouvait se douter qu'un truc gigantesque allait se produire. Bien sur, il fallait être un peu au courant.

Il fallait être informé de la pression de plus en plus violente qui était exercée sur les bas salaires, là-bas comme ici, bas salaires qui sont l'imense majorité, en tous temps et en tous lieux.

Il fallait savoir que la consommation aux Etats-Unis se cassait la figure de plus en plus, et se rappeler qu'une entreprise sans consommateurs, à la fin, court à sa perte.

Il fallait être conscient du fait que le crédit était utilisé pour pallier les hausses de salaires qui manquaient. Sans hausses de salaire, la consommation était forcément moins vivace. Alors on facilitait le crédit pour tous, principalement les plus pauvres, les moins éduqués, qui se rendaient moins bien compte du risque qu'ils prenaient. On facilitait tout spécialement le crédit immobilier, celui qui vous engage pour les plus grosses sommes, qui fait donc courir le plus de risques en cas de problème sur les revenus.

Et la pression a continué. Aux Etats-Unis, n'est-ce pas, on a la culture du risque. On n'a pas peur, on se lance, c'est ce que l'on appelle le rêve américain. Les pauvres feraient mieux de se contenter de rêver, tant que le système économique est ce qu'il est.

Et donc des millions de crédits n'ont pas été remboursés. Alors, les banques qui avaient accordé ces crédits ont tenté de partager la patate chaude avec leurs chers confrères. Quelqu'un pensait que leur sens de l'honneur les pousserait à assumer leur avidité, hara-kiri dans mon bureau, j'ai failli ? Sérieusement, ce n'est pas là non plus que l'on peut trouver de l'inattendu. Les crédits pourris ont donc été dilués dans des titres, eux-mêmes dispersés dans tout le système bancaire mondial. Et les premiers dominos de la série ont commencé à vaciller.

Quelqu'un peut-il soutenir que c'est arrivé par hasard ? Que lorsqu'on place massivement des crédits énormes à des gens, qui ensuite voient leur revenu étranglé la catastrophe est un hasard ? C'est tout simplement cohérent. Les mêmes exploitent les mêmes, d'un bout à l'autre de la chaîne. Ici ont leur fait l'aumône d'un job sous-payé, quand ils en ont un. Là, on compte sur eux pour maintenir les bilans dans le vert.

Il ne s'agit ni d'un accident, ni d'un événement inattendu, c'est tout simplement la conséquence de l'organisation actuelle du capitalisme. Les actionnaires, les financiers, font la loi dans tous les secteurs de la société.

Ils exigent des retours démentiels sur leurs investissements dans les entreprises.

Aucune boîte ne peut cracher 20 % de dividendes par an, afficher encore une plus-value juteuse sur ses actions et poursuivre durablement une activité saine.

Aucune banque ne peut amonceler les créances pourries et s'en sortir éternellement sans problème.

Alors qu'est-ce qui s'est donc passé ?

Après tout, les actionnaires n'ont pas été inventés hier, la Compagnie des Indes en était constituée et les banques lombardes à la fin du Moyen-Âge en avaient.

Mais jusque récemment (là je parle en vieux, mais historiquement c'est récent) un actionnaire c'était un pékin presque comme vous et moi, sauf qu'il en avait plus sous le matelas. Profession libérale, petit patron, cela suffisait. Le pékin allait voir un agent de change avec son paquet sous le bras et le chargeait d'acheter des actions avec. Il y avait d'ailleurs intérêt, sinon avec l'inflation son paquet se dégonflait. Les prix augmentant régulièrement, et les salaires avec, le pouvoir d'achat de son pécule baissait. L'argent qui dormait finissait par ne plus se réveiller. Donc le pékin rentrait chez lui avec ses actions.

Suivons maintenant, par une sorte de curiosité mal élevée, le trajet de la somme qu'il avait laissée chez l'agent de change. Oui, c'est malpoli de s'intéresser à l'argent, on n'en parle pas, d'abord c'est sale on en sait jamais dans quelles mains c'est passé. Je vous jure qu'on disait cela quand j'étais petit. Mais depuis j'ai compris que cette pudeur arrange surtout ceux qui en ont, et qui l'ont éventuellement acquis de manière douteuse. Donc on s'en fout, soyons vulgaires, suivons l'argent à la trace le nez au sol comme des clébards.

Donc, la liasse de billets laissée par le petit porteur, l'agent de change ne la gardait pas. Il prenait tout de même une commission raisonnable, soit. Puis l'argent filait sur le compte de l'entreprise. Celle dont il avait acheté des actions pour son client. Sur le chemin, tel le ruisselet descendant du glacier, il rencontrait d'autres ruisselets, ruisseaux, torrents, rivières, et tous ensemble formaient le fleuve plus ou moins puissant des liquidités qui permettaient à l'entreprise de financer son développement. Ce qui revenait à investir dans des projets industriels qui ne rapportaient pas tout de suite, mais supposés préparer l'avenir.

Et le nouvel actionnaire, dans tout cela ?

Il se mettait à surveiller les cours de ses actions. Une fois par semaine, s'il était vraiment motivé. Dans le supplément week-end de son quotidien. C'était largement suffisant. Le cours de l'action représentant les anticipations de dividendes, il dépendait de la santé de l'entreprise, des grandes orientations suivies par sa direction. Et vu la taille des sociétés qui émettaient des actions, les évolutions étaient lentes, comme celles d'un paquebot qui ne saurait s'arrêter net ou virer sur place en pleine mer.

Une fois par an, il avait droit à la double récompense, symbolique et matérielle. Eh oui, les humains étant ce qu'ils sont, le symbole a son importance. Donc l'actionnaire était invité à l'assemblée générale de ses pareils. Il ne venaient pas tous, et heureusement, vu le nombre de paquets de mille personnes que cela eût représenté. Et de toute façon, chaque vote n'avait qu'un poids infinitésimal. Disons que si le PDG avait fondu un câble et décidé des orientations visiblement aberrantes, l'assemblée s'y serait opposée et il aurait participé. C'est à peu près le maximum de ce qu'il pouvait faire. La fameuse règle non-écrite « un dollar une voix » faisait que chaque actionnaire, seul, était impuissant à infléchir le cap.

Récompense matérielle, il touchait son dividende. Dans ce cas précis, on divise la somme dont l'entreprise peut se passer pour l'an prochain entre tous les petits porteurs, au prorata du nombre d'actions de chacun.

Alors, attention : je ne suis pas en train de regretter le bon vieux temps du capitalisme de papa, tel l'ingénieur en chef licencié par le repreneur japonais à six mois de sa retraite. Simplement les choses sont devenues cent fois pires, et je me demande pourquoi et comment.

Qu'est-ce qui a donc changé ?

Il faudrait se tourner dans plusieurs directions à la fois, je vais donc quelque peu bouleverser le chronologie. Reprenons plutôt le récit dans l'ordre.

 

D'abord, l'actionnaire, ce n'est plus un pékin aisé. Les économies de ces gens sont bien toujours présentes à la Bourse, mais ils ont totalement perdu le contrôle. La chose se passe maintenant sous forme d'assurance-vie, de placements bancaires type OPCVM, etc...

Il ne va plus du tout chez son agent de change, mais chez son banquier-assureur. Pour cela, il a fallu démolir quelques protections légales. La profession d'agent de change était certes plutôt fermée, mais aussi relativement contrôlée. Les banques ouvraient et géraient nos comptes, puis faisaient du crédit avec les sous. On a donc supprimé le monopole des agents de change (imaginez la même avec les médecins, par exemple!) et autorisé les banques à spéculer pour leur propre compte. Comme disait Lordon, le métier de banquier doit redevenir un métier ennuyeux. Parce que là, c'est le festin qui a commencé. Et ils n'en sont toujours pas au dessert. Les banques, les fonds de pension et autres coopératives de squales disposaient dès lors de masses de monnaie inimaginables. Ils se sont mis, logiquement, à les placer au plus offrant. On ne peut même pas le leur reprocher, c'est leur métier. Ils ont juste raccourci le cycle de l'eau, la source entre par une porte, un fleuve ressort par l'autre.

Du coup, les enjeux ont carrément changé d'ordre de grandeur. 0,1 % de plus, sur le patrimoine du petit porteur, ça ne cassait pas trois pattes à un canard. En tous cas, ça ne valait pas le coup de prendre des risques. Sur 10 milliards, ça fait 10 millions. On commence à parler sérieusement. On installe des équipes de pros pour suveiller la chose, non plus à la semaine mais à la seconde, pour commencer. Internet venant se greffer là-dessus, avec la possibilité des transactions automatiques, c'est le logiciel qui achète et vend au signal convenu d'avance, à des fractions de seconde infinitésimales.

2 Problèmes :

Ces compagnies financières se mettent à cracher des rentabilités de cinglé. Là où l'industrie, quand tout va bien, fait du 5 % par an, la finance arrive rapidement à 2, 3, puis maintenant 4 fois plus.

Le petit porteur plaçait son oseille pour sa retraite ou pour ses gosses, il ne voulait pas prendre trop de risques, il acceptait Supertramp-Crisis What Crisis -Frontalque les choses aillent lentement. Le trader joue pour sa Ferrari ou son tour du monde 5 étoiles, ça marche à fond, et en plus il s'éclate.

Et alors il va où, l'argent, d'après vous ? 

Le trader qui pilote son logiciel avec l'image de sa Ferrari devant les yeux, il va jouer les régulateurs sociaux, peut-être. Alors que pour être bien vu dans sa boîte, on lui demande juste le contraire. Faisant fi des consignes de sa direction et de son propre intérêt financier, il va se dire « non, on ne peut pas laisser tomber cette boîte, c'est encore x familles à la rue, attendons, ils vont y arriver à la fin ». Rien que de l'écrire...

 

Et même faire du crédit, si l'on va par là, cela devient stupide à force de ne pas être rentable. D'ailleurs, même après tous les paquets de milliards que nous avons mis pour « sauver les banques », les boîtes ont de plus en plus de mal à trouver prêteur. (Je le sais parce que je connais des patrons, ne le dites pas à mes camarades!)

 

Alors résumons-nous.

 

Tant que les banques seront autorisées à mélanger les genres, à jouer au casino avec nos sous,

tant que les cotations se feront en continu, à la fraction de seconde,

tant que des montagnes d'artiche pourront sillonner le monde sans contrôle dix fois par jour chacune,

tant que ces mayonnaises suspectes appelées « produits financiers structurés » seront en vente libre,

Ce genre de choses va continuer, et même, si vous voulez mon avis, empirer.

 

Une note d'espoir ? Comme un petit goût sucré à la fin du repas ?

Regardez bien toutes les conditions et réalisez qu'il n'y en a aucune qui résisterait à un peu de volonté politique. Tout cela pourrait céder à quelques lois, voire une seule, à voter puis à imposer. Certains gouvernements n'apprécieraient sans doute pas. Mais après tout, on n'est pas le Montenegro, sans dénigrer ce vaillant petit pays.

 

Dernière question : qu'est-ce qu'on attend ? Nous sommes, n'est-ce pas, une démocratie. Il y a là un choix politique qui, non seulement correspond à l'intérêt général, mais répondrait à une urgence de plus en plus évidente. Or, nous ne faisons pas ce choix. La contradiction est flagrante, mais où est l'erreur ? Dans l'ambivalence du joli mot de démocratie. Certes, nous votons. Tous les 5 ans. Mais avec un mode de scrutin qui fait que nous ne pouvons choisir qu'entre deux solutions au second tour. Et quand je dis « solutions », je devrais dire « candidats ». Parce que la différence entre les solutions... Va falloir que je change de lunettes, moi

 

Alors c'est sûr, dans la situation comme elle est, quand on dit aux gens qu'il faut refaire la Constitution, il y a plus sexy. Ce n'est pas très vendeur. Et pourtant...

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M
DSK y disait aussi : ceci n'est pas une pipe<br /> <br /> Je sors
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