Obéir à Bruxelles

Publié le par cassetoi-vlp

Établir un lien entre l'extinction de la télévision publique en Grèce et la réforme des retraites qui se prépare pourrait paraître une de ces distorsions de réalité dont on taxe volontiers les gauchistes obsessionnels. Et pourtant...

Lorsqu'on examine les motifs du geste inouï perpétré par le chef du gouvernement grec, on en trouve trois principaux, dont l'importance relative varie selon les sources.

 

Faire taire une voix : Aucun média privé, en Grèce, ne suit les sommets européens, n'y est présent pour en commenter voire en critiquer les décisions. Ce pan de l'information disparaît donc avec la fermeture de ERT. Voilà qui ne peut que faciliter les choses, lorsqu'on est un gouvernant décidé à faire appliquer les décisions de la Troïka. Mais ce n'est, pour ainsi dire, qu'un bénéfice secondaire. D'autres moyens moins radicaux auraient permis de parvenir à un résultat dans ce domaine. Une ouverture progressive aux capitaux privés suffisait à réorienter le discours, on l'a bien vu avec TF1.

 

Récupérer les revenus publicitaires : La même stratégie pouvait s'appliquer, avec les mêmes avantages. D'autant que dans un pays où la consommation subit une telle baisse, les dépenses publicitaires perdent de leur rentabilité. La manne qu'elles représentent pour les médias tend donc à se réduire fortement. Le gâteau à partager rétrécit à vitesse grand V. Il aurait donc été plus efficace d'éviter un tel choc aux consommateurs en puissance, et de récupérer discrètement les revenus publicitaires existants. Détruire à grand bruit l'instrument qui les collectait, et espérer les récupérer entiers avec d'autres médias, l'idée vaudrait une mauvaise note en première année d'école de commerce. La stratégie du choc, si bien analysée par XXX, a pour but de rendre la population hagarde, prête à accepter sans réagir des mesures autrement impensables. Pour une relance de la consommation, c'est de l'optimisme et de l'insouciance qu'il faut instiller dans les esprits. On est ici, pour dire le moins, légèrement à côté de la plaque.

 

Alors ? Toute la classe dirigeante grecque serait-elle composée d'ignares et de demeurés ? De masochistes cherchant à quel moment le fouet du peuple se lèvera sur eux ?

 

Voyons plutôt. D'ici quelque temps doit être débloquée une nouvelle tranche de cette aide européenne qui permet à la Grèce de continuer à rembourser ses banquiers alors que la population explore le fond de la misère. L'aide en question, comme il est d'usage, est assortie de conditions. Oui, c'est vrai, un individu qui se comporterait comme ces bailleurs de fonds serait aussitôt taxé de chantage, voire de racket. Mais il s'agit ici de la paternelle bienveillance d'experts non-partisans envers un peuple déraisonnable. Voyons donc les conditions. L'état grec devait, pour bénéficier de la bienveillance bruxelloise, liquider son système de distribution de gaz, et ce faisant, supprimer près de trois mille emplois publics. Or, cette liquidation n'a pas bien marché du tout. Apparemment, les titres n'auraient pas trouvé preneur, ou fort peu. Et l'échéance approchait. Que faire ? Où trouver matière à un sacrifice équivalent ? Les divinités libérales ne se contenteront pas de faux-semblants, d'autant qu'elles sont en situation de force en Grèce. Je ne vous ferai pas l'insulte de répondre à la question, les faits parlent d'eux-mêmes. ERT comptait à peu près ce nombre de salariés. La pluie d'euros pourra avoir lieu.

Le petit plus qui tue : ERT n'était pas, contrairement à ce qu'on peut lire ici ou là, une charge pour l'état grec. Elle s'autofinançait, et même dégageait un léger excédent. Malgré les nombreux amis politiques qu'il y avait logés, à des postes inutiles mais grassement payés : le prix de quatre ou cinq journalistes chacun, pour des conseillers ou, ne riez pas, les conseillers des conseillers.

Si l'on songe à la situation politique pour le moins délicate dans laquelle s'est placé ce gouvernement, on voit qu'il est prêt à beaucoup pour ne pas désobéir à Bruxelles.

 

Et les retraites françaises, direz-vous ? Quel rapport ?

Eh bien notre système de retraites, lui non plus, ne va pas si mal. Il se trouve actuellement dans un creux démographique, mais si la croissance et l'emploi prennent le chemin prévu par le gouvernement, les choses se redresseront d'elles-mêmes en quelques années. Après tout, chaque salarié qui trouve un emploi se met à cotiser pour la retraite, et contribue à renflouer le système, de même que l'assurance-maladie, dont on ne tardera pas à entendre parler à mon avis.

 

Doit-on alors imaginer que ces gens ne croient pas eux-mêmes à leurs prédictions ? À vrai dire, s'ils y croyaient, ils seraient bien les seuls. Non seulement les syndicats, mais les experts indépendants, l'OCDE et même le FMI ont émis les plus extrêmes réserves sur le retour de la croissance dans le cadre de la politique actuelle. C'est donc bien sur la croissance qu'il faudrait insister pour « sauver le système ». Autrement dit, permettre aux gens de consommer en leur distribuant des revenus corrects avec une confiance raisonnable dans l'avenir. Ce qui est aux antipodes de la ligne suivie. Tous ceux d'entre nous qui ne sont pas au chômage se sentent de plus en plus précarisés, ou voient leur salaire fondre sans pouvoir imaginer ou s'arrêtera le phénomène.

 

Ici aussi, donc, des solutions existent, le problème est délibérément grossi, et pourtant on applique des décisions a priori aberrantes.

Ici aussi, en cherchant un peu, on trouve un récent oukase bruxellois, enjoignant de procéder à la réforme. Rappelez-vous le soulagement unanime exprimé par nos chers médias, lorsque nous avons obtenu un délai pour atteindre les fameux 3 % de déficits publics de la règle d'or. Ce délai était, lui aussi, « assorti de conditions » (voir plus haut, chantage, racket).

Eh bien voilà la première.

Qui se rappelle les suivantes pourra gagner de l'argent en pariant qu'elles seront bientôt exécutées.

Mais cela ne compensera pas nos retraites.

 

Publié dans Europe

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