Chômage-immigration: aucun rapport

Publié le par cassetoi-vlp

Frédéric LordonJe viens de lire un article de Frédéric Lordon. Rassurez-vous, j'ai cassé une croûte après. C'est un vrai boulot, en tout cas pour moi, de lire Lordon. Je veux dire, le lire et en garder quelque chose, pas juste pour le plaisir de sa prose : il écrit comme il parle, et ce n'est pas peu dire. Quoi qu'il en soit, je pense que cet article vaut la peine d'être vulgarisé. Non pas pour insulter l'intelligence de mes lecteurs, mais parce que tout le monde n'est pas en vacances. D'ailleurs, pour qui préfère l'original, il se trouve ici. Vous y trouverez bien plus que dans ce billet.

Le sujet sur lequel je ne peux m'empêcher de le reprendre, c'est son explication en trois points des causes du chômage. On n'y trouvera guère de grande nouveauté, mais il organise les idées, et une argumentation bien solide est toujours utile, que ce soit pour les dîners en ville ou les tractages sur les marchés.

L'ensemble de l'article est consacré à démolir rationnellement certains discours d'extrême-droite, et un peu à reprocher à la « gauche critique » d'y renoncer. Il en vient donc à s'attaquer au lien chômage-immigration dont se régalent ces torchons visqueux (parfois il faut appeler les choses par leur nom).

Donc, le chômage.

 

Les pertes d'emploi sont d'abord facilitées par le libre-échange. Lorsque tous les produits passent toutes les frontières comme s'il n'y en avait pas, on comprend bien que les délocalisations ne sont pas loin. La grosse boîte qui a les moyens trouve toujours des pays où les lois sociales, le droit de la consommation, la liberté d'exploiter sont plus avantageux. C'est d'ailleurs rarement la PME de la ZAC du coin qui délocalise, vous l'aurez remarqué.

À ce propos, que penser de l'idée d'aggraver encore le libre-échange avec les États-Unis ? Quest-ce que nous leur envions ? Leurs lois sociales sans SMIC ni vraie Sécu ? Leur protection du consommateur avec OGM, poulet au chlore et gaz de schiste au robinet ? Mais je digresse.

 

Deuxième facteur favorable à la pénurie d'emploi, l'austérité en période de crise. Le cycle est connu : moins d'argent public dans l'économie, qui ralentit par manque de commandes, fait moins de bénéfices et paie moins d'impôts, donc moins d'argent public dans... (voir plus haut) Les économistes compétents et les représentants du Front de Gauche le répètent depuis des années.

À ce propos, que penser de gouvernants qui affichent un objectif et mènent une politique apparemment stupide, eu égard à cet objectif ? Ayant pour principe de ne pas sous-estimer l'adversaire, j'ai du mal à croire à cette imbécillité généralisée et prolongée. Un petit mensonge sur les priorités, par contre, me paraît une explication simple et élégante. Parions que ces gens savent ce qu'ils font et jugeons l'arbre à ses fruits : gageons que le but visé est celui vers lequel nous nous dirigeons, la liberté d'action totale de la puissance financière, avec ses conséquences dramatiques pour l'ensemble de l'espèce humaine. Fin de la deuxième digression politique.

 

Le troisième facteur aggravant de la pénurie d'emploi tient directement au pouvoir pris par les actionnaires dans les entreprises. Ce sont donc les grandes entreprises : celles qui ont des actionnaires. Mais, d'une part, si elles sont malades les autres le sont aussi, étant leurs sous-traitants ou ayant pour clients les salariés virés. D'autre part, elles sont si grosses que leur mauvaise santé pèse d'un poids significatif sur l'économie. Dans ces grosses compagnies, l'actionnaire qui place de l'argent exige un rendement de 15 % par an, en moyenne. Ceci est totalement déraisonnable. Ce sont des rendements que l'on ne trouve que dans certains secteurs financiers malsains et dans la prostitution ou la cocaïne. Demander la même chose à une chaîne de cliniques ou un fabricant de voitures donne le résultat suivant : Tous les services ou les projets qui ne rapportent pas 15 % passent à la trappe. Avec les gens qui y travaillaient. On vend et le cash passe aux actionnaires. Rappelons pour mémoire ques lesdits actionnaires sont la plupart du temps de grosses compagnies financières, banques, fonds d'investissement, etc...

 

Et voilà pourquoi votre fille est muette, disait Molière. Ces trois facteurs à eux seuls rendent compte du manque d'emploi en France et dans bien d'autres pays. Alors moi aussi, j'aime bien des slogans comme « l'adversaire ce n'est pas l'immigré c'est le banquier ». J'ai une sympathie instinctive envers ce genre de position de principe. Mais si l'on m'explique, je préfère encore, et surtout, c'est bien utile pour défendre ses positions face au rabâchage décervelé qui tend à pourrir le vivre-ensemble. Tout le monde ne peut être militant, mais personne n'est obligé de laisser dire des insanités en sa présence.

 

À bon entendeur...

Publié dans Idéologies

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